Je ne suis pas mes cheveux

Est ce que les cheveux peuvent rendre libre? Quand tu as passé ta vie à occulter ta vraie image, la réponse peut être oui. Maureen nous l’explique.


Ilustración: Inés


Aujourd’hui, je ne viens pas seulement te parler de cheveux mais de cheveux crépus.Toutes les personnes noires et toutes les personnes qui ont de la famille ou des ami.e.s noir.e.s connaissent l’importance des cheveux, surtout pour les femmes.

Je suis née en Afrique, je vis en Europe, j’ai voyagé et j’ai vécu sur le continent Américain et sur ces territoires remplis de personnes noires d’origines diverses, j’ai pu noter un point commun: ces personnes  détestent leurs cheveux, surtout les femmes. Je suis sûre que tu vas me dire “ mais de toute façon les femmes ne sont jamais contentes de ce qu’elles ont”. C’est vrai, mais pour nous les femmes noires, c’est encore plus grave. Je vais t’expliquer pourquoi.

Dans son livre Peau noire, cheveux crépus, histoire d’une aliénation, la sociologue martiniquaise Juliette Sméralda explique que lorsque les personnes africaines ont été envoyées en Amérique pour y servir d’esclaves, elles ont perdu, en même temps que le statut d’être humain, tous les peignes et autres produits de beauté qui leur permettaient de prendre soin de leurs corps et de leurs cheveux. Les esclaves femmes cachaient leurs cheveux dans des mouchoirs et dans les vieux collants de leurs maîtresses. Presque toute l’esthétique noire a été perdue. De plus, les maîtres trouvaient que les traits de leurs esclaves étaient exagérés et laids, ils ordonnèrent que les cheveux crépus soient cachés, que tout ce qui faisait “ trop noir” soit effacé.

Lors de ce processus, les personnes  noires ont été aliénées et évoluèrent en pensant que toutes leurs caractéristiques étaient laides et inférieures, elles  intégrèrent cette violence et tentèrent d’imiter la beauté dominante de l’esthétique Blanche.

Et puisque changer sa couleur de peau était compliqué (elles tentaient quand même de le faire à travers le métissage « encouragé », mais ce thème sera abordé dans un autre article), changer la texture de ses cheveux était plus facile. Voilà comment aujourd’hui, environ deux siècles après l’abolition de l’esclavage, les personnes africaines et afrodescendantes détestent toujours autant leurs cheveux et essaient de les lisser à tout prix.

Ce processus «d’acculturation capillaire» a été plus ou moins le même pour les africain.e.s colonisé.e.s. Le psychologue et activiste Frantz Fanon, dans son célèbre livre Peau noire, masques blancs, explique comment les personnes noires colonisées finissent par adopter la culture et l’esthétique Blanche.

Le cheveu lisse était (et est toujours?) le symbole de l’aliénation des personnes noires, c’est la raison pour laquelle le cheveu crépu a été utilisé par les mouvements activistes noirs (comme celui des Black Panthers aux USA Dans les années 1960-1970) pour revendiquer une identité noire, désaliénée et fière d’elle même. Cela fait environ une dizaine d‘années que cette révolution crépue est entrée dans une nouvelle phase. En effet, de nos jours, elle peut compter sur des femmes et des hommes africain.e.s et afrodescendant.e.s qui ne sont pas forcément liés à des mouvements activistes mais qui en ont marre de suivre des standards de beauté eurocentriques.

Maintenant tu vas sûrement me dire : «mais Maureen, tu exagères comme toujours, ce ne sont que des cheveux!”. Bien sûr que ce ne sont que des cheveux, les cheveux et les poils servent seulement à protéger certaines parties du corps. Par exemple, est ce que tu savais que les sourcils sont là pour empêcher que des éléments (sueur, pluie, poussière…) ne rentrent dans les yeux? C’est cool n’est ce pas? Je suis sûre que tu ne le savais pas.

La nature a fait crépus les cheveux des gens qui viennent d’Afrique, afin que leurs têtes soient protégées des rayons de soleil (avec le soleil qu’il y a là bas, je te dis pas les brûlures de cuir chevelu qu’on aurait eu si on n’avait pas eu les cheveux crépus !). Comme dirait ma mère: “Dieu fait bien les choses”.

Apparemment, sur ce coup là, Dieu n’a pas fait les choses selon les goûts de ma mère car comme la majorité des mères ivoiriennes, elle m’a défrisé les cheveux chimiquement dès l’âge de 5 ans puisque c’était plus “facile” pour elle et pour les coiffeuses brutales chez lesquelles elle m’envoyait (sérieusement, les coiffeuses de Côte d’ivoire sont mon traumatisme d’enfance, le gouvernement devrait créer une cellule d’assistance psychologique pour les filles de ma génération).

J’ai donc grandi sans savoir à quoi ressemblaient mes vrais cheveux, j’ai les cheveux rebelles et défrisés, ils ressemblaient plus à ceux de Mafalda qu’a ceux de Barbie. Ça n’a jamais été un problème pour moi car j’adore Mafalda; jusqu’au jour ou un copain du collège me demande  “mais tes cheveux ne poussent pas?”. Pourquoi mes cheveux ne poussaient-ils pas? Je n’en savais rien, je ne savais rien de mes cheveux, je me contentais de mettre sur mes cheveux le pot de défrisage que ma mère m’achetait tous les mois, sans me poser de question, c’était  naturel, automatique.

Cette question  m’a ouvert les yeux et j’ai commencé à faire des recherches sur les cheveux crépus; je me suis rendu compte que de nombreuses femmes noires de tous les âges étaient comme moi: elles ne savaient rien de leurs propres cheveux. J’ai donc décidé d’arrêter de me défriser les cheveux pour apprendre à les connaitre, je me suis libérée d’un poids et d’une obsession dont  j’ignorais l’existence. J’ai arrêté de me battre contre moi même et j’ai réalisé que pendant toutes ces années, ce n’est pas moi que je voyais dans le miroir puisque me défriser les cheveux n’a jamais été ma décision mais un acte imposé par des siècles de dépréciation de l’esthétique noire.

Ma  décision d’arrêter le défrisage n’a pas été un problème pour ma famille puisque j’ai toujours été  «l‘originale» de la famille, “le mouton blanc” (puisque ma famille est entièrement noire, cette blague est toujours un succès).

Ma famille a pensé que c’était une lubie de plus. Cela dit, ça n’a pas été pareil  pour toutes les femmes noires qui ont arrêté le Creamy Crack (crack crémeux, nom donné au défrisage aux USA, qui souligne bien que le défrisage est souvent comme une drogue, difficile à arrêter). J’ai eu la chance de ne pas entendre des proches me dire des phrases telles que “mais tu ne vas pas te coiffer?”, “tu ressembles à une esclave/une villageoise”, “tu ne vas pas trouver de mari”, “tu ne vas pas trouver de travail” et autre bêtises blessantes du même genre (je crois que c’est parce que ça se voit sur mon visage que je ne  réponds pas  gentiment aux phrases humiliantes).

Je n’ai jamais été expulsée de mon école parce que mes cheveux pouvaient “distraire” les autres élèves ou parce que ma coiffure n’entrait pas dans le «règlement» de l’école, comme ça a été le cas pour de nombreux élèves aux USA, au Brésil et dans les caraïbes. Mais oui, j’ai déjà été regardée comme une curiosité «une noire avec le cheveux crépus, qu’est ce que c’est bizarre»! Oui , j’ai dû supporter que des étrangers veuillent me tâter les cheveux comme si j’étais un animal dans un zoo; oui,  j’ai dû supporter que des inconnu.e. s remettent en question mon hygiène personnelle parce que je portais des locks ; oui, j’ai dû utiliser un postiche pour pouvoir travailler dans un aéroport où les employées pouvaient seulement avoir les cheveux en chignon; j’ai même eu affaire à des personnes chauves qui voulaient me donner des conseils sur mes cheveux ! Et la liste d’anecdotes est longue…

Malgré les difficultés, j’ai aussi eu de bons moments: des regards de soutien échangés avec d’autres crépues croisées dans le métro, des compliments de la part de proches et d’inconnu.e.s sur ma coiffure du jour, une meilleure conscience des produits de beauté que j’achète (maintenant je lis les étiquettes!). Mais ce qui me fait le plus plaisir,  c’est que je suis devenue un modèle pour ma mère qui a décidé à son tour d’arrêter de se défriser les cheveux et avec qui je partage maintenant des moments de complicité autour du soin mutuel de nos cheveux.

Je suis heureuse de faire partie d’une génération de femmes noires qui en ont marre de se renier, qui en ont marre de suivre un canon de beauté eurocentrique qui ne leur a jamais correspondu, qui en ont marre de se polluer le corps avec des produits chimiques dangereux, qui sortent dans la rue la tête haute et le cheveu valeureux, et qui élèveront leurs enfants dans la fierté de leurs cheveux, de leur couleur de peau et de leurs racines, car la fierté est le contraire de la honte.

Comme dit Chris Rock dans son documentaire Good hair: ce qui est sur ma tête n’est pas aussi important que ce qui est dans ma tête alors si un jour je veux me lisser les cheveux de nouveau je le ferais parce qu’au final je suis libre, n’est ce pas? Oui je suis libre et consciente.

Pour aller plus loin, voici quelques liens:

Documental Good Hair

I am not my hair (Indie Arie)

Article  Le Monde

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